Ma vie mon cri, Rachida Yacoubi

Publié le par lifim2011

 

 

 Plusieurs écrivaines maghrébines se sont inspirées de leurs vies pour écrire leurs œuvres littéraires. Si quelques optent pour une autobiographie implicite, en mettant en scène leurs vies et leurs désirs à travers des personnages fictifs, Rachida Yacoubi elle, prône pour une autobiographie bien explicite en mettant en scène sa propre vie, aspect qui apparaît très bien dans le titre de son œuvre : Ma vie, Mon cri. Rachida Yacoubi décide de briser le silence en utilisant sa propre parole pour raconter ces douleurs et ces déceptions. Alors, pourquoi écrire sa propre vie ? Et quel était le but d’une écriture féminine et féministe ?  N’est t-il pas pour se libérer de ses souffrances et ses angoisses ? ou n’est ce qu’une simple dénonciation d’une société purement patriarcale ?

Née à Ifrane en 1946, dans une époque où son père était Caïd de la prison d’Ifrane, Rachida YACOUBI a grandi et a fait ses études à Fès. Elle est moins écrivaine que conteuse, mais elle a pu marquer son nom par son intrépidité à réclamer le respect de ses droits de femme et de mère dans « Ma vie, mon cri», qui fut un succès de librairie comme le Maroc en connaît malheureusement peu.

Ce n’est qu’après sept ans qu’elle va publier son deuxième roman Je dénonce (2002), dans lequel elle raconte la prison pour dettes, dénonce les magouilles de l’autorité et peint bravement les conditions des femmes exclues, bafouées, prisonnières de la suprématie masculine et duquel la prison apparaît comme l’ultime incarnation. La fougue, la franchise, la sensibilité et la réalité de cette « battante » font tout le prix de son témoignage en tant qu’écrivaine.

Elle est installée depuis 10ans à Paris, et actuellement son projet d’écriture est toujours autobiographique La foi et la loi, ce dernier roman est en cours d’élaboration qui selon elle représente « un combat qui mérite d’être partagé ».

41-1a7KpW2L._SL500_AA300_.jpg

Ma vie, mon cri est le premier roman de Rachida. C’est un roman autobiographique et réaliste dont l’auteure est l’héroïne de sa propre création. Dans ce roman, l’écrivaine va traiter plusieurs idéologies pertinentes qui dominent la pensée des sociétés patriarcales et particulièrement la société maghrébine. Parmi les thèmes principaux de son œuvre, on retrouvera le thème du « divorce et société patriarcale », élément majeur et déclencheur du récit qui a une influence et sur la femme et sur les enfants. Elle traitera  « la femme comme étant objet de désir », mais aussi d’autres thèmes comme « l’injustice de la société et de la loi », etc.

 Il est nécessaire de s’arrêter pour un instant sur le titre et les idées qu’il véhicule. En lisant l’intitulé, on prévoit que cette romancière va offrir aux lecteurs un récit qui s’ouvre sur son propre vécu « Ma vie ». Elle va tout simplement partager avec nous sa vie intime et son expérience privée. Quant au syntagme «  Mon cri », il n’est là que pour préciser ce que l’écrivaine voudrait transmettre dans son œuvre.

              Le titre dans son ensemble, exprime la sincérité et la volonté profondes de l’écrivaine puisqu’un cri ne parvient jamais d’une personne soumise et faible. Au contraire, il exprime une dénonciation et un refus catégorique d’une situation que l’écrivaine juge d’anormale, d’illégale et injuste. Toutefois, le cri émane toujours d’une douleur interne que le temps ne peut cicatriser. 

Ce roman, rédigé d’une façon simple mais violente, est une invitation aux lecteurs de se pencher sur l’état de la femme répudiée dans la société marocaine. Il raconte le parcours singulier et douloureux d’une femme divorcée qui se trouve du jour au lendemain confrontée au mépris et l’exclusion de la société. En effet, ce récit occupe une place importante dans le développement de l’écriture féminine au Maroc où la femme devient l’objet principale du discours.

Ce premier roman de Rachida Yacoubi est différent de celui de ses consœurs car il va inaugurer une nouvelle ère d’écriture au Maroc. En effet, il aborde la même thématique qui a été traité par plusieurs écrivaines au paravent. Cependant, il est différent et original parce que la protagoniste vit difficilement la fatalité du destin. Elle lutte avec force et courage, malgré tous les problèmes et les humiliations, contre toute la société patriarcale. L’écrivaine décrit avec un style clair et direct les choses avec une intensité réelle et explicite.

Rachida est une bourgeoise qui menait une vie pacifique avec ses parents. A L’âge de 14 ans, elle se marie et s’installe à Casablanca avec son conjoint. Elle a eu quatre enfants, Yamine, Adil et Soundous.

Le roman s’ouvre par des prières de l’auteure. Ensuite, elle installe directement son récit autobiographique en utilisant la première personne du singulier « je/ femme ». L’histoire de Rachida va commencer lorsqu’elle va décider de quitter son foyer conjugal. Sa répudiation est venue après des années de souffrance et de mépris de la part d’un partenaire qui exerçait tout type de violence contre sa femme.  Ainsi, la protagoniste va prendre la fuite lorsqu’elle sera battue par son mari. En abandonnant son foyer, elle s’est retrouvée seule, dans la rue, sans famille, sans amies ni argent. Elle laissa derrière elle quatre enfants et essayera de commencer une nouvelle vie ne possédant que la foi et Dieu. Cette femme qui ne cherchait que sa liberté et ses droits, n’était pas consciente que le prix de son choix sera très cher surtout dans une société tout à fait patriarcale.

La romancière nous raconte son quotidien depuis qu’elle a quitté sa maison. Elle nous fait part de l’injustice qu’elle a subit. En effet, elle partage avec le lecteur les moments difficiles de sa vie en mettant en œuvre les contrastes sociaux :

« Je vivais le martyr. Trompée, frappée, humiliée, il me fallut cependant de longues années avant de prendre cette décision qui devait m’en libérer » (p.208)

 

Ces contrastes apparaissent surtout lors de sa comparaison entre le statut de la femme mariée et celle divorcée. La première bénéficie de tous les privilèges sociaux. Cependant, elle reste toujours soumise à la volonté de l’homme. Elle essaye de négligée le revers de la médaille qui n’est que la trahison pour sauver leurs foyers et leurs statuts dans la société.

 Tandis que la deuxième, divorcée, elle est une proie facile aux yeux des hommes, une femme sans honneur et rebelle, ou bien un danger pour les femmes mariées qui sont méfiantes d’elles pour ne pas mettre leurs foyers en danger.

 

Après le divorce, la répudiée ne bénéficie d’aucun privilège. Au contraire, elle est rejetée, voire méprisée par toute la société. En plus, elle ne doit attendre aucun soutien ni de ses proches ni de la société au moment où on la considère la seule responsable de sa situation.

Portant le titre de « femme divorcée », Rachida est soumise à tous genres de critiques. Elle est mal vue pour son aspect vestimentaire (jean et pull) et pour ses sorties tardives : «  Je n’étais plus pour vous, qu’une misérable en jean, cette tenue qui ne vous honorait certainement pas » (p.225).

 C’est ainsi que Rachida avait mené dans le début de sa vie de femme divorcée une grande misère. Elle vivait dans des bidonvilles et travaillait dans les maisons de ses copines, puis dans un bureau et enfin comme vendeuse d’articles en faisant le tour des maisons.

On ne peut pas négliger la souffrance des enfants de Rachida. Ils ont souffert trop à cause du manque de moyens et la dégradation de leur état social. Cependant, ils résistaient, soutenaient leur mère qui les comblait d’amour et de tendresse malgré tout. Elle arrivait même à se culpabiliser des fois d’avoir été lié à un homme qui n’est pas l’exemple parfait du père. Pour corriger sa faute, elle prenait la place du père mais aussi de la mère. Elle faisait de son mieux pour combler à la fois l’absence du père mais aussi celle des moyens financiers :

« En aucun cas mes enfants ne devaient payer pour une faute qu’ils n’avaient pas commise : mon mariage avec leur père. C’est moi qui l’avais aimé et choisi et c’était moi seule qui devais assumer cette responsabilité. Je leur avais assez fait de mal en leur choisissant un mauvais père » (p.206)

 

Les enfants de la narratrice sont influencés par l’instabilité familiale. Ils commencent à perdre l’estime de soi, ne se sentent plus aimés et manquent de confiance surtout lorsqu’ils se sentent des fois responsable de ce divorce.

La condition de Rachida va s’améliorer et se stabiliser de plus en plus. Elle a ainsi, quitté les bidonvilles pour s’installer dans une jolie petite maison avec ses enfants. Elle va aussi se procurer un nouveau magazine. Mais sa joie ne va pas être complète, car elle va être en ruine à cause des dettes du magasin. Elle va même risquer d’être emprisonnée et subira une agressivité de la part du mari de son amie que la justice va innocenter vu l’importance de son statut social. Cette injustice envers Rachida de la part des hommes mais aussi de la justice va la pousser à voir la vie d’une manière pessimiste et même penser à vendre son corps. Elle voulait poursuivre le chemin de la prostitution puisqu’elle était déjà traitée de la sorte.  Mais, elle revint enfin à sa croyance divine et essaye de surmontée tous ses malheurs :

« Je suis certainement dans l’erreur, laisse-moi tranquille, je dois changer… Oui, c’est ça… Attends que je monte dans une belle voiture et viens si tu peux me sortir de là » (p.197)

Dans une période de sa vie et de son combat, Rachida va rencontrer un tunisien qu’elle va épouser. Elle avait envie de renouveler sa vie et oublier tous l’injustice qu’elle a subit en se donnant une nouvelle chance avec un nouvel homme. Toutefois, son choix était mauvais pour la deuxième fois car ce dernier ne faisait que profiter d’elle. Elle décide encore de le quitter avec sa fille qu’elle avait eue de lui.

Si Rachida optait toujours pour le divorce, c’est tout simplement parce qu’elle voulait se libérer de la prison conjugale. Une prison volontaire du moment qu’elle constitue au début un accord entre deux personnes dans le but de s’unir pour l’éternité. Le mariage est prison, il est la prison où elle était confrontée à plusieurs genres d’agressivité physique et psychique, de la part et du mari et de la société.

Cette femme a opté pour la liberté et n’admettait pas de nier ces principes ni se soumettre à des hommes qui étaient capables de mettre fin à ses problèmes. Ce refus va lui procurer un grand nombre d’ennemis qui veulent se venger d’elle :

« Je devais courir, fuir le plus loin possible ces hommes vicieux, sans scrupule, qui n’avaient qu’une seule idée en tête, attirer le plus de femmes possible dans leur couche, surtout celles qui eurent le malheur de quitter le lit conjugal, certainement par solidarité masculine, pour punir la rebelle » (p.19)

 

 

Se trouvant seule après sa répudiation, Rachida trouvait refuge dans la croyance en dieu et sa croyance en sa puissance. D’ailleurs on remarque bien que son œuvre débute par des prières : «  Dieux aimez-moi […] Dieu Tout-Puissant, donnez-moi la force de crier très fort… Que votre paix règne dans les cœurs » (p.09). Le retour vers dieu lui inspirait la force et la sérénité malgré tout ce qu’elle subit.

Rachida va être battue par le mari de son amie qui à découvert la trahison de sa femme et puisque Rachida était la seule de ses amies divorcée, elle a été accusé d’avoir trainée son amie dans l’erreur :

« Je t’ai toujours dit de t’éloigner de ma femme, espèce de traînée. C’est toi qui la dirige vers le mauvais chemin, celui que tu as emprunté. Si jamais je te tiens, je te tords le cou. Nie que tu es une pute ? Comment as-tu fait pour te remettre sur pied. D’où as-tu eu tout cet argent ? Et tes enfants, pute, comment t’arrives à leur payer l’école ? Pute, pute, je te tuerai… » (p.119)

Le récit va se terminer lorsque Rachida va annoncer aux lecteurs qu’elle va être envoyée en prison et que le récit de cette nouvelle aventure fera l’objet de son roman qui va suivre.

Ce roman qui se démarque par un art certain de la narration et d’une intensité dramatique, invite l’autre à se pencher sur l’injustice flagrante à l’égard des femmes répudiées.  En plus, c’est une invitation  à prendre conscience que la prise de parole par le biais de l’écriture n’est souvent qu’une libération et une dénonciation des souffrances causées par autrui.

Rachida Yacoubi réunit tous les atouts d’une écrivaine prometteuse et d’une excellente conteuse. Servie par l’immense désir, la volonté de dire et de décrire, elle nous offre un roman qui porte un regard fécond qui cherche à embrasser la grande complexité de la réalité marocaine. Elle introduit dans ce récit des commentaires acerbes en mêlant à la fois autobiographie et portrait social tout en agissant contre le silence. En dépit de certaines longueurs et maladresse stylistiques qui pourraient décourager le lecteur, les situations présentent suffisamment d’intérêt et d’originalité pour maintenir l’attention.

 

         Labrabiche Meryem

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article